Sunday, April 12, 2009

Cannibals. Chapitre 4

Je dois rejoindre Paul, il a disparu. Je jette un dernier regard sur le pauvre gars qui m'implore silencieusement. Que veut-il au juste? Je n'en sais trop rien. S'accroche-t-il encore à la vie, a-t-il accepté de mourir, pourquoi bande-t-il? Mes convictions se désagrègent, les digues de ma conscience sont prises d'assaut par des sentiments nouveaux. Rien ne peut calmer cette tempête vivifiante et terrifiante, la société entière m'apparait comme un château de sable attendant la montée des eaux. Je cours rejoindre l'improbable Neptune de ces flots.
Au bout de l'allée, un espace me sépare de la cloison du hangar. Je regarde cet espace dégagé à droite et à gauche, et aperçois une mince bande de lumière dans un des coins, une porte entrouverte me fait signe de me presser, sur la gauche. Je profite de cette courte distance pour tester l'efficacité de mes jambes et du muscle cardiaque en piquant un sprint le plus silencieusement possible. Satisfait, je jette un coup d'œil par la fente de la porte tandis que je sens les battements de mon cœur se calmer rapidement. Un bâtiment en tôle ondulée, comme le hangar où je suis, délimite une ruelle de 10 mètres de large à moitié baignée par le soleil. Le ciel bleu m'éblouit, il doit être environs midi.
La porte que je dois ouvrir est dans la partie ensoleillée de la ruelle, et une autre porte en face m'attend dans l'ombre. Elle est entrouverte elle aussi, et je crois un bref instant voir mon reflet dans un miroir: quelqu'un m'observe par la fente. Je fais pivoter sur ses gonds la porte étonnamment silencieuse, je regarde, lentement, aussi loin que possible d'un côté, de l'autre, les sens en alerte. Je bondis. Il m'ouvre la porte pour m'éviter de ralentir. Je me ramasse en beauté contre un mur en brique à l'intérieur, formant couloir. Le choc contre cet obstacle inatendu vide l'air de mes poumons, malgré mes bras tendus en guise d'amortisseurs. Un bref rire de Paul accompagne la fermeture de la porte et nous voilà tous les deux plongés dans un noir complet.

« Un vrai barbouze de choc, hein? » souffle-t-il. Je sens qu'il se rapproche de moi pour me parler discrètement. « Nous sommes dans un atelier de fabrication. Les machines sont à l'arrêt. La plupart des techniciens sont partis déjeuner. » Je sens maintenant son souffle sur une de mes joues, il n'est peut-être qu'à quelques centimètres de moi. Je reprends ma respiration, qui se mêle à la sienne. Je sens parfaitement son odeur corporelle, il doit en être de même pour lui: ma chemise colle sous les bras. Soudain une main touche ma poitrine et glisse jusqu'à mon épaule. De l'autre, il va chercher mon bras et descend sa paume jusqu'à mon poignet. « Faut pas se perdre! » dit-il sèchement. Il m'enserre brusquement le poignet et me tire à sa suite le long du mur de brique. Je sens un bref effet de chair de poule m'envahir. Nous marchons prudemment, ignorant si le sol est régulier ou pas. Sa prise au poignet, doucement ferme, est étrangement rassurante. Bizarrement, j'étais prêt, il y a 10 minutes, à céder ma vie pour des dirigeants dépravés et criminels, et maintenant, je la livre aveuglément à un inconnu dont j'ignore les motivations. Je suis stupéfait de me voir autant faire preuve d'incohérence en si peu de temps.
Nous atteignons en quelques secondes une porte métallique, malheureusement verrouillée, et nous poursuivons. Nous sommes rapidement contraints de faire demi-tour face à un cul-de-sac. Nous repassons devant la porte menant à l'extérieur et poursuivons vers l'autre partie du couloir. Il me tient toujours le poignet alors que l'endroit se révèle extrêmement petit: de nouveau un cul-de- sac. Je n'ose rien dire: la situation ne tourne pas à notre avantage.
Paul tient toujours mon bras avec la même fermeté, complètement immobile. J'attends une, deux minutes avant de m'approcher de lui et chuchoter un « alors? » particulièrement dubitatif. Il se jette soudain sur moi: mes deux bras pris en tenaille, le haut de mon corps enlacé par les siens d'une force suffocante, son ventre presse sur mes viscères avec la constance menaçante d'un rouleau compresseur. Son visage est tout prêt, je crois sentir le duvet de ses pommettes. Son haleine fait palpiter mes narines. Je sens les poils sur sa poitrine dressés contre les miens sous la mince couche de nos chemises, cherchant à se mêler comme deux armées sur le champ de bataille dans les friselis de nos tissus. D'un coup de reins sec il me soulève de quelques centimètres et me plaque contre la cloison, la brique en retombant râpe la saillie de mes omoplates. Son genoux remonte contre mon entrejambe sans ménagement et termine de vider l'air de mes poumons, alors qu'une onde électrique irradie autour de mon périnée. Je sers davantage les cuisses contre sa jambe, qui reste immobile un long moment, puis qui tente de se libérer, par petites touches, massant par la même occasion mon scrotum. J'affermis ma prise, autant qu'il me compresse le haut du corps. Je sens la circulation du sang dans sa veine saphène à travers l'épaisseur de nos jeans. Il renonce à s'échapper, et desserre un peu l'étau de ses bras. La circulation sanguine se rétablit dans mes bras, et je récupère autant d'air que je peux.

Tout d'un coup, un bruit vient de la porte intérieure. Une clef dans une serrure.

Nous nous dégageons l'un de l'autre en un millième de seconde et je perçois la légère dépression de l'air qu'il déplace de son corps massif, puis un frottement sur le sol et la porte qui grince au fond du couloir. Je suis à peine remis de ma surprise que je vois la silhouette, qui tient une torche, se mélanger à une autre forme humaine, deux fois plus grosse, et la torche s'éteindre en tombant à terre avec un bruit sourd, sans plus m'informer de ce qui se trame entre les deux ombres plongées dans le noir. J'entends peu après le glissement bref d' un tissu contre un autre. Une main a saisi la torche qui se rallume brièvement en direction d'un homme à terre, inerte, vêtu d'un bleu de technicien et de bottes en caoutchouc. Plongé de nouveau dans l'obscurité, je traverse l'espace qui m 'en sépare en suivant du bout des doigts le mur de brique. Arrivé à sa hauteur, je manque de tomber cul par dessus tête, et un bref souffle s'échappe de ma gorge. La porte s'ouvre aussitôt et Paul sort du couloir.
Des ampoules rouges et jaunes diffusent une faible lumière suffisante pour nous orienter. Une salle assez grande pleine comme un œuf d'un capharnaüm de tuyaux et de citernes, de manettes et de volants, de passerelles et d'escaliers, sans aucune présence humaine.

« Cachons le corps ».

Nous retournons dans le couloir et Paul rallume la torche le temps pour nous de choisir nos prises sur l'homme inerte. Je le saisis sous les aisselles tandis que Paul le soulève par les pieds. Paul avait tout de suite repéré une cache entre un des murs et une conduite parallélépipédique haute et large comme une dizaine d'armoires superposées. Nous devons placer les jambes de l'employé le plus loin possible dans la fente étroite et totalement privée d'éclairage, puis le basculer doucement à la verticale. Il reste debout, coincé par les deux parois qui empêchent ses jambes et son buste de s'affaisser. Il a l'air ainsi de dormir debout et un trouble croissant me pousse à demander avec réticence:

« Il est... enfin... tu l'as...

-Il est mort. » Je blêmis et cherche de ma main un support à saisir. « Qu'est-ce que tu crois? On ne plaisante pas, là. C'est eux ou nous. » Il me regarde avec attention. « Il va falloir te mettre ça dans la tête: tu ne dois pas mourir. Tu dois me sortir d'ici vivant. Et faire la nique à nos tortionnaires... parce que tu es leur tête de turc à partir de maintenant, ils te détestent et n'en ont rien à foutre de ton joli minois. Tu es devenu un grain de sable dans la machine de l'Etat, tu comprends?... et merde! Tu n'es pas qu'un gros morceau de viande, Harry! » Il était très en colère contre moi, mais c'était la première fois qu'il employait mon prénom... enfin, mon pseudo!
Je comprenais sa réaction, je détestais comme lui mon attitude conditionnée par des années de manipulations. Comme tout le monde, j'ai consommé de la chair humaine dans ces restaurants où il est bon de se montrer pour monter dans l'estime des gens de pouvoir. Plusieurs fois j'ai dû accepter les invitations à diner de mon employeur ou de mes clients. Paul devinait-il que je me suis fait à l'idée de finir moi aussi allongé sur la table d'un établissement trois étoiles, nu et badigeonné de beurre, entouré d'hommes responsable et parfaitement intégrés au système, en quête d 'ascension social par l'argent ou par le titre? Que j'ai rêvé que leur ambition me plantait un couteau dans le cœur et partageait ma chair en morceaux saignants et goûteux, que leur longues dents de requins les déchiquetaient à l'intérieur de bouches dédaigneuses et inconscientes? Sait-il que j'ai poussé le vice plus loin encore que les autres en préparant mon corps pour ce funeste rendez-vous en m'imposant de longues heures de musculation, un régime savant d'hormones et de substances chimiques métabolisantes, sans parler des quantités incommensurables de produits alimentaires à la traçabilité douteuse que l'industrie alimentaire fabrique dans le secret le plus occulte pour la population, de la nourriture pour bébé au plateau repas tout préparé? Personne ne peut aujourd'hui affirmer n'avoir jamais mangé de la chair humaine, et ça, ça vous rend complice de l'ineffable, et vous confisque tout espoir de changer le monde. Paul est une sorte de bogue dans ce logiciel démoniaque.

« Je suis désolé, Paul. J'ai toujours cru que la mort était une récompense, choisie et programmée. Cet ouvrier, c'est un accident, n'est-ce pas?

-Incroyable! Je n'ai jamais rien entendu d'aussi idiot. Il est temps de décrocher là, et penser par toi-même, et non comme ils t'ont appris. OK, ça risque d'être long. Tu as toujours consommé « normalisé » hein?

-Ben oui, réponds-je en haussant les épaules, comment cela pourrait-il être différent?

-Je ne mange que mes légumes et mes poules.

-Tu veux rire? » C'est absurde. Plus personne n'est autorisé à cultiver un jardin ni à élever des animaux, et la Police contrôle les déchets de chaque individu, et perquisitionne chaque maison systématiquement. La délation citoyenne complète efficacement le dispositif. La raison de ce contrôle réside dans un mal mystérieux, la néophylactie, qui est apparue pendant la Dernière Grande Guerre, et qui a totalement infecté le monde végétal sur l'ensemble de la planète, ainsi que les animaux nourris avec des végétaux non issus de l'agriculture industrielle. Personne ne se risquerait à manger une nourriture non contrôlée!

« Je t'expliquerai un jour...si on sort de ce merdier » réplique-t-il avec un large sourire. Et sans plus regarder mon visage offusqué, il part devant, vers le labyrinthe des passerelles qui montent par dessus les citernes et les boites en tôle de toute tailles à la fonction inconnue. Je reste sur ses pas et entame l'ascension des marches en oubliant pour le moment mes questionnements à la vue de son postérieur juste à la hauteur de mes yeux. Un beau volume bien ferme que les plis du pantalon et le léger balancement des hanches rendent terriblement tentateur. Quand nous arrivons au sommet, sur la galerie supérieure, nous regardons dans toutes les directions pour faire l'inventaire des possibilités de fuite. Seule une porte à notre hauteur constitue éventuellement un objectif intéressant. « Il faudrait se déplacer vite: ils vont fouiller tout le secteur très prochainement. »

La porte donne sur une passerelle qui relie notre bâtiment à un autre, vertical, comme une tour accoudée à un hangar. Notre situation en hauteur nous permet de constater l'absence d'individus à l'extérieur. L'occasion est inespérée et nous traversons immédiatement la passerelle sans précipitation, avec l'air dégagé.

Wednesday, April 8, 2009

Cannibals. Chapitre 3

Un sourire sur ses lèvres. Malgré la pénombre, son visage inversé est resplendissant, entouré d'une chevelure noire mi-longue et désordonnée qui évoque le panache enflammé d'une navette spatiale au décollage. Ses yeux ont repris vie, ils me happent, moqueurs. Mais cela ne dure qu'un instant, un très court instant de complicité amusée qui me marque au fer rouge. Je suis désespéré au moment même où son visage se durcit, de nouveau plein de rage, le regard tourné vers l'action à mener. Il soulève son buste pour attraper de ses doigts la barre qui le tient en captivité. Il échoue la première fois, son poids étant un handicap certain, et il se laisse balancer en retombant, laissant ses abdominaux récupérer de cet effort contre nature. Il a moins d'entrainement que moi. Moins musclé, sans doute. Pourtant, son ventre est beau, bien gonflé comme celui d'un buveur de bière. Il semble bien ferme, prêt à encaisser les coups et les sévices de nos sbires. Mais sa volonté semble plus dure encore, et il tente une deuxième fois de redresser son buste en s'accrochant aux bords de son jeans, puis en prenant à pleine main ses cuisses et ses mollets. Ses biceps sont gonflés à en faire craquer les manches de sa chemise, tandis qu'il souffle comme un buffle. Il fléchit les jambes et atteint la barre. Il reste suspendu ainsi pieds et mains réunis, et laisse tomber sa tête en arrière, découvrant sa pomme d'Adam et l'ovale de sa bouche happant avidement de larges goulées d'air. Sa peau suinte par tous ses pores, et j'aperçois par l'échancrure du col de sa chemise la naissance de sa pilosité. Je crois même que mes narines saisissent quelques effluves intimes nouvelles et étranges.

Je découvre alors qu'il tient dans une main un objet qui lui permet d'ouvrir le système d'attache de ses pieds. Il a dû procéder de la même façon avec les menottes. Comment a-t-il pu se procurer un passe? L'a-t-il subtilisé à un des geôlier dans la confusion du déplacement de quelques mètres de tout à l'heure, alors qu'il se débattait comme un jeune taureau? Le trouble s'installe dans l'opinion que j'ai de lui. Un pincement de jalousie fait naitre en moi une incompréhension hostile. Cet homme refuse un destin que j'ai secrètement désiré depuis des années. Brusquement ses jambes tombent et il lâche précipitamment le passe pour s'agripper à la barre de ses deux mains et éviter la chute. Il se balance, les bras et son dos en V, sa chemise sort de son jeans et me dissimule la cambrure de ses reins et de ses fesses.
Le passe a rebondi quelques mètres plus loin sur la gauche, et mon voisin de gauche qui s'était manifesté avant l'arrivée de nos tortionnaires se met à bouger en fixant l'objet avec avidité. Je regarde à mon tour le passe, incrédule. Une forme grise de la taille d'une poire aussi tentante que répulsive. J'en oublie quelques secondes la présence des centaines d'hommes autour de moi, mon regard passant de mon voisin à l'objet et de l'objet à mon voisin que je découvre avec curiosité tant son attitude soudaine me surprend. Une tension dans son cou et ses bras semblent pousser ses yeux hors de leur orbite, comme pour contrebalancer l'entrave d'un long râle étouffé par le ball gag. Son énergie comme un volcan éteint n'attend que le signal codé de l'objet pour exploser. Son désir de liberté m'interroge: que suis-je donc devenu, moi si volontaire pendant ma longue période de préparation dans les gymnases, moi qui est sculpté mon corps avec obstination, en quête d'optimisation, d'efficacité et de reconnaissance? Qui a tort, celui qui sublime l'ignominie de l'ordre social pour mieux le détourner ou celui qui prétend orgueilleusement l'ignorer en rêvant y échapper? De toute évidence, mon voisin ne se pose pas ce genre de question. Sa réaction n'est pas très éloignée en ce moment de celle d'un renard prêt à se ronger la patte tombée dans un piège à mâchoire.

Notre Harry Houdini lâche la barre fixe après avoir échauffé ses chevilles et atterrit lourdement en accompagnant sa chute d'une roulade. Il se remet aussitôt sur ses pieds et court récupérer le passe. Il regarde autour de lui comme pour se repérer. Il semble confus, peut-être surpris par le cours des évènements. Il commence à se diriger sur les pas des geôliers quand je lance à l'unisson avec mon voisin un cri de détresse. Il se tourne à moitié vers nous, hésite un peu puis repart vers ce qui semble être la sortie. Il disparaît bientôt dans le crépuscule, nous laissant dans la stupéfaction. Nous n'osons à peine nous regarder: un sentiment de honte nous étreint l'un et l'autre, pour autant que je puisse deviner les pensées de mon voisin. Personnellement, j'ai honte de moi, mais le regard venimeux de mon voisin laisse deviner une autre cible. Son regard reste fixé à l'endroit où nous avons vu Harry disparaître.

Le bel Harry n'a eu cure de ma vie. L'ange libérateur ne m'a pas jugé digne. Un sentiment de haine tente d'étouffer cette admiration déçue aussi irraisonnée qu'indigne. Je jette un regard de reproche à mon voisin, pour me libérer de cette culpabilité idiote. Il semble pendant quelques secondes ne pas comprendre mon froncement de sourcils, puis décide de détourner la tête, déboussolé dans sa détresse grandissante.
Quelques minutes d'une tristesse infinie, qui souffle comme une brise sur les évènements récents, s'allongent dans l'air poussiéreux du hangar. Seul le vide dans la rangée d'hommes attachés à la verticale en face de moi me rappelle la réalité de cet improbable coup de théâtre. Une farce à laquelle j'aurais préféré ne jamais participer.

Nous le voyons bien avant de l'entendre. Malgré sa corpulence et sa démarche oscillante d'un canard, son retour s'effectue dans un silence parfait. Il s'accroupit devant nous pour reprendre son souffle tout en nous considérant. Des mèches de cheveux collent un peu sur son front. Un bref regard alentour l'assure de la présence exclusive au sein de l'alcôve de mon voisin et de moi-même parmi la gente éveillée.

« Vous êtes encore capables de courir, non? Les autres sont fichus, dit-il en jetant un œil par dessus son épaule en direction de la grande salle, trop épuisés, ils seraient des boulets. »

Il fait une pose et nous regarde alternativement, sa pensée en ébullition.

« Il faut pouvoir courir vite, poursuit-il. Mais j'ai besoin que d'un seul d'entre vous, désolé. J'ai besoin du plus costaud. »

Sans attendre, il se met à me peloter les cuisses, sur l'extérieur d'abord et glisse sur mes mollets puis remonte lentement à l'intérieur, s'attardant à côté de mon entrejambe en me scrutant le regard avec insistance. Il palpe ensuite mes bras et caresse mes pectoraux et je me cambre malgré moi. Mon paquet se gonfle en même temps que le bout de mes seins sous ses mains. Il jette un regard discret sur ma braguette et se détourne de moi le visage impassible pour s'accroupir à côté de mon voisin. A la première caresse sur ses cuisses, l'homme réagit en poussant un bref son, sonnant comme une désapprobation. Il secoue la tête lorsque les mains s'approchent de son entrejambe. A ma stupéfaction, une des deux mains se met à lui masser ses organes génitaux. Le bâillonné se met à pousser plusieurs plaintes rageuses, ce qui fait sourire son tourmenteur. Puis ce dernier lui assène une grande claque au visage.

« Eliminé mon gars! Mauvaise réponse!»

Il se relève et revient s'agenouiller près de moi en disant:

« Toi, j'espère que la fermeté de tes muscles est à la hauteur de ta volonté de t'en sortir », et il m'enlève le ball gag. Le contact de sa main rugueuse et poilue me fait oublier l'ankylose de la mâchoire et la brûlure des lèvres. Je regarde pour la première fois son visage de près tandis qu'il applique le passe électronique sur mes menottes et je glisse avec ravissement sur la courbure de sa gorge et de ses joues rondes, piquées d'une barbe naissante. Son dos quand il se penche pour me libérer les pieds m'apparait plus large et solide que je ne l'ai cru jusque là. Sous une couche de gras se meut une musculature tout ce qu'il y a de plus efficiente.

Il s'éloigne déjà alors que j'essaye de me mettre sur pied. Le gars resté ligoté lance quelques injures inaudibles, et suivant l'exemple de mon sauveur je ne lui jette aucun regard, mais à la première tentative pour avancer une jambe, je suis pris d'un vertige qui me précipite sur mes genoux, provoquant son rire sardonique. Harry revient sur ses pas et me saisit par les dessous de bras. Un frisson me parcourt l'échine et je tente de retrouver la sensation du poids de mon corps sur le sol.

« Ne me fais pas regretter mon choix, mon gros », menace-t-il sèchement, mais lorsque je tourne mon visage vers le sien, son regard s'adoucit imperceptiblement et évite gêné le contact de mes yeux. Il regarde l'homme à terre qui continue à rire comme un possédé hystérique. Je l'écarte gentiment de moi, et fait mes premiers pas en direction de la grande salle la tête baissée, les sens en émois.
Je retrouve la maîtrise de mes muscles et de mes tendons progressivement, le squelette retrouve son assise et le sang irrigue de nouveau certaines parties ankylosées comme mon fessier et les jambes. Ma tête ne me tourne plus mais j'ai les oreilles comme bouchées après une plongée de plusieurs mètres sous l'eau.
Quand j'atteins les premiers rangs des hommes suspendus de la grande salle, Harry, celui dont je ne sais rien, me double et se glisse entre deux rangées de prisonniers. A peine remis de mon malaise, je dois supporter la vue de ces corps en souffrance écartelés sous leur propre poids. Des ventres proéminents sur ma gauche, des dos et des culs rebondis sur ma droite, se succèdent rangés comme des sardines avec une régularité infernale. Je n'ose pas regarder les visages bâillonnés de ces compagnons d'infortune que nous nous apprêtons à abandonner à leur funeste sort.

« Quel est ton nom? » arrivé-je à articuler. Ma langue semble avoir triplé de volume. J'ai soif.

Il s'arrête et se tourne vers moi, une certaine défiance sur ses traits.

« Paul, tu n'as qu'à m'appeler Paul » et repart aussitôt. Je le suis en m'interrogeant sur cette réponse un peu étrange.
Sans se retourner, il me demande au bout de 20 secondes, « et toi? ». J'esquisse un sourire, le premier depuis longtemps, et réponds humblement « moi, c'est... ce sera Harry. »
Il a beau être le plus fort question esprit révolutionnaire, il n'a pas le monopole de la discrétion.

Nous arrivons bientôt à l'autre bout du hangar. Je suis étonné que les mecs devant lesquels nous passons ne manifestent pas plus leur aspiration pour la liberté. Je me demande s'ils ne sont pas tous drogués pour les mettre dans un tel état de soumission. Je m'arrête devant l'un d'eux qui gémit doucement. C'est un mec un peu plus grand que moi, plutôt mignon de visage, et plus gras. Son ventre descend bas sur l'aine. Je laisse ma main glisser sur la courbe de son ventre en scrutant son visage. Ses yeux me regardent à travers la fente des paupières baissées. Il ne réagit pas plus que ça. Paul me rejoint. « Qu'est-ce que tu fous?

- Je vérifie un truc. »

Je regarde Paul. Puis je mets ma main dans l'entrejambe du type qui se met faiblement à bouger la tête. Je masse le paquet et évalue la grosseur de son sexe qui se met à gonfler, en regardant toujours Paul. Ce dernier me fixe de ses yeux durs, imperturbable.

« Il est vivant, et réagit aux stimuli sexuels.

- La grande découverte que voilà! » dit-il excédé. « On n'a pas que ça à foutre mon gars, des stimuli sexuels, nos geôliers sont prêts à nous en servir à la pelle. Si t'aimes ça, je t'attache dans un coin, ils viendront très vite te donner toutes sortes de sensations. Alors décide-toi. » Il s'éclipse.

Je range ma main dans la poche de mon jeans, et baisse la tête. Paul est sur le point de disparaître au bout de l'allée. Je regarde l'homme suspendu qui a maintenant une belle bosse sous sa braguette, et qui semble me supplier, m'implorer de ses yeux mouillés, de le finir.
Définitivement.

Tuesday, April 7, 2009

Cannibals. Chapitre 2

D'ailleurs, quand on parle du loup... Quatre ombres surgissent dans notre alcôve. Je ne les avais pas entendus arriver ceux-là. Des baraques à la démarche lourde et silencieuse, prédatrice. Certains mecs suspendus font entendre leur gémissement avec un peu plus d'insistance, tandis que d'autres se taisent. Quand les silhouettes s'approchent du petit groupe au centre de notre pièce, l'un d'entre eux, qui a les pieds à peine touchant le sol, se met à se trémousser, les plis de sa chemise dansant sur la peau tendue de son large ventre, ces pectoraux gonflés et ses bras tendus comme deux grosses buches au dessus de ses épaules charnues. Le groupe hésite, s'arrête, les quatre têtes se tournent en direction de l'homme qui se tortille comme un ver au bout d'un hameçon. Son visage doit être implorant, j'imagine, alors que les matons se positionnent lentement autour de lui, deux devant et deux derrière.

« Pas l'air content celui-là.

-Le pauvre chaton, l'a mal aux poignets hein?

-L'aurait envie que tout ça s'arrête p't-être bien? »

Ces salauds ont de jolies voix, fils de putes! Une basse et deux barytons. Celle de l'asticot dodu, pas facile à distinguer à cause du bâillon, me semble plus aigüe. Ce doux rêveur pense réellement pouvoir les apitoyer.


« Qu'est-ce qu'i' dit?

-J'comprend pas personnellement. Parle pas comme nous.

-Les chiens jappent, c'est bien connu.

-Un petit chien, le chaton?

-Ah ah ah!

-Un p'tit chien qui miaule, c'est pas normal ça. »

Le cerbère en face de la masse immobilisée du danseur en équilibre précaire sur la pointe de ses pieds sort une longue matraque en caoutchouc mou et lui frappe violemment la bidoche. La chemise blanche du prisonnier sort à moitié de son pantalon. Plus aucun son ne traverse le baillon. Je sens une goutte de transpiration dégouliner sur mon flan.

« On dit plus rien? » demande l'agresseur, puis il assène un deuxième coup mais plus bas cette fois-ci. Un cri plus puissant que jamais traverse l'espace tandis que l'homme, malgré sa douleur aux poignets, remonte péniblement ses deux jambes vers le haut, et lutte pour garder ses tibias aussi hauts que possible devant son bassin. L'autre cerbère en face ricane, avec un son aigüe. Les deux autres compères, derrière le prisonnier qui pousse quelques plaintes essoufflées, s'approchent de ce dernier et se mettent à lui caresser le postérieur. L'un des deux colle brusquement son visage contre la chemise blanche au niveau des poignées d'amour. Sa proie se tend brusquement en lançant un cri court et violent. Je ne vois pas son visage de là où je suis mais je devine les larmes lui jaillirent des yeux.

« Tout doux, agent 700-02. L'heure du souper n'a pas encore sonné! »

C'est l'homme à la matraque qui vient de parler, et aussitôt il envoie un deuxième coup sur les parties génitales du souffre-douleur.

Parfaitement synchronisé, la saillie de mon voisin de gauche vient amplifier un long cri de douleur. « Crevez tous!!! Crevez et pourrissez en enfer!!!»

Les quatre sadiques se retournent vivement dans notre direction, les armes aussitôt brandies. Je lis dans leur formes noires l'inquiétude et la surprise. Puis celui à la voix aigüe lance de nouveau son ricanement et dis:

« Un rapport au service accueil semble nécessaire, quelqu'un a mal fait son boulot là-bas. »

Et la femme s'avance vers nous. Car il s'agit d'une femme. Aussi balaise que ses confrères, mais avec une poitrine en plus. Sans doute. J'ai du mal à voir jusqu'à ce qu'elle s'arrête à 4/5 mètres de nous. Pas beaucoup de poitrine en fait, les doses de testostérone ont dû faire fondre cette partie de son anatomie. En revanche, je ne serais pas surpris que la taille de son clitoris ait été multiplié par 10.

« Lequel d'entre vous a pu parler?»

Les trois autres la rejoignent et restent légèrement en retrait, ricanant. L'un d'eux tend une main et montre du doigt mon voisin de droite. La femme bondit comme un rhinocéros et lui assène un coup de sa matraque en caoutchouc dur; l'homme encore endormi ne réagit pas. Cette drogue est vraiment puissante. Puis elle lance un grognement de rage et s'en prend à moi. La matraque frappe ma cuisse droite et je me recroqueville tant bien que mal en simulant une vive douleur. En réalité, je n'ai presque rien senti: mes membres sont épais et mes muscles en béton!

Mais mon gémissement feint semble l'avoir rendue folle: elle s'approche de moi et commence à me frapper de plus belle, s'approchant, un peu plus à chaque coup, de ma tête. Elle va me tuer quand:

« C'est moi pouffiasse! Que ton con soit bouffé par les cancrelats et que tes ovaires pourrissent dans la merde! »

Je remercie et chéris intérieurement mon désagréable voisin tout en ressentant les premières douleurs le long de mon flan droit et dans mon bras gauche qui a protégé ma tête in extremis... Un moment de silence accompagne les douleurs de ma chair. Je ne mise pas cher sur la vie de mon sauveur.

« Attends, 530-15. J'ai une bien meilleure idée. » dit le premier matraqueur.

La femme au joli matricule suspend en l'air son bâton au dessus de l'impertinent. Celui-ci attend sans broncher son destin de nouveau martyre. Je distingue faiblement les rides creusées sur son front et la grimace féroce de sa bouche. Seul son petit nez en trompette ose brandir encore un peu une sorte de fierté juvénile.

Après avoir expliqué son plan à ses confrères, le matraqueur sort un passe et les deux autres hommes saisissent mon voisin qui ne peut s'empêcher de lâcher quelques gracieusetés. Une fois détaché du mur, il est mis sur pied et trainé virilement jusqu'au milieu de notre alcôve. Auparavant, la femme avait détaché l'homme suspendu qui reste prostré par terre, à demi étouffé par des sanglots. Devant moi, j'assiste au traitement particulier réservé à mon sauveur suicidaire. Il est projeté à terre, à l'emplacement où se trouvait l'homme surveillé par la femme. Les chaines sont descendues pour lier les chevilles du beau révolutionnaire qui harangue ses tortionnaires comme un charretier. Puis la chaine est tendue et le corps charpenté du prisonnier au vers libre s'élève par à-coup. La tête en bas, il arrive à envoyer quelques jolis noms d'oiseaux aux quatre agents qui s'éloignent en riant accompagnés de leur prisonnier plié en deux et jambes tremblantes.

Il a une énergie vraiment surprenante. Il crie encore des injures alors que les matons ont quitté les lieux depuis bientôt 10 minutes. Il se tortille dans tous les sens, un magnifique lombric dodu qui n'attend que la bouche d'un gros poisson-chat. J'ai tout loisir pour l'admirer, ses formes pleines, sa vitalité, sa voix vibrante et puissante, le vert langage de son passé ouvrier. Je devine ses origines géographiques, certainement la région des usines de traitement des déchets, dans le nord. Plusieurs générations d'ouvriers coulent dans ses veines, une race fière et courageuse, soudée par l'adversité, toujours au bord de la rébellion. Sans ces gens-là, la société étoufferait sous les masses prodigieuses des déchets qu'elle produit inconsidérément. Mais leurs dures conditions de travail les classent parmi la lie, et l'enlèvement de cet homme ne vient en rien affecter la bonne conscience collective. Au contraire, ses formes idéales viendront combler le regard des spectateurs. La douceur de ses courbes, les formes pleines de son énergie, la masse fabuleuse de sa chair au goût sublime. Son pantalon serré par la saillie de ses fesses me laisse deviner soudain la protubérance lente de son membre viril.

Je ne m'en suis pas rendu compte, perdu dans mes pensée, mais il a cessé de parler depuis quelques temps. Son corps semble osciller de temps en temps, au moindre de ces gestes. Sa respiration même impulse un léger balancement. Sa queue a pleinement pris sa place, de biais, vers le bas, son épanouissement est étonnant. Une orchidée monstrueuse accrochée au tronc d'un baobab. Les couilles ne sont pas en reste, par ailleurs. Elles sont descendues au milieu du pubis, prêtes à s'échapper, la braguette est sur le point d'éclater, comme les portes métalliques d'une prison d'argent! Je n'ai jamais rien vu de pareil, avec cette lumière zénithale glauque rasant les formes dans une mise en scène dramatique. Le métal dur et froid des chaines autour de ses pieds brillent faiblement, et le tissu de ses vêtements l'entoure d'une chaude auréole de coton. La veine cave sur son cou bas au rythme de son cœur, fortement, dangereusement. La congestion fait ressortir les veines des tempes, et ses oreilles prennent la couleur de fruits confis. Sa poitrine se soulève et se rétracte en symbiose rythmique avec son cœur que je crois entendre battre dans ma propre poitrine. Ses mains attachées derrière le thorax, il ressemble à une chauve-souris prête à déployer ses ailes, en quête de nectar.

Et il me regarde.

Ses yeux fixent les miens, sévères, accusateurs. Sa colère est immense malgré l'accumulation du sang dans son cerveau. Il semble lutter pour garder connaissance, et je suis son point d'ancrage. Je voudrais lui transmettre toute mon énergie pour qu'il s'échappe. Oui, je voudrais qu'il survive, qu'il parte comme un ange vengeur par dessus les dépôts, les usines de transformation et les casernes de nos sbires sadiques. Je le vois comme un superman violent et infatigable tuant un par un les décideurs sans morale de notre monde devenu fou. Je rêve, mon regard plongé dans le sien. Un moment d'espoir, une période indéterminée pendant laquelle j'ai foi en la reprise en main de nos destins, du sien et du mien. Un projet de vie, en équipe, en duo! Qu'est-ce qu'il m'arrive? Je reprend pied dans le réel, soudain alarmé. Ses yeux sont sombres, ils perdent peu à peu de leur éclat. Des soubresauts secouent son large buste. Cela me rappelle vaguement les absurdes dénouements des opéras italiens. Je perd le contact de son regard. Je le perd. Ma respiration s'arrête. Son sexe dégonfle, petit à petit, et j'ai l'impression de me vider de mon sang.

La rage m'envahit, il me la transmise je crois, car je lance un cri à m'en péter les veines. Je hurle comme les loups, je serre les yeux et les poings, je m'entortille comme une vipère saisissant sa proie, je m'arrache la peau en tirant sur mes liens et c'est vraiment par inadvertance, frappé de douleur, que j'aperçois, à travers le brouillard de mes larmes, les ailes déployées d'un aigle impérial.

Wednesday, April 1, 2009

Cannibals. Chapitre 1

Je dois rêver. Pourtant je devais m'y attendre. La loi stipule que tout mâle dépassant les 100 kilos est susceptible d'intéresser le Service Alimentation. Cela fait un bail que j'ai dépassé la limite, le Quota. En même temps je n'ai jamais essayé de cacher mes formes, il n'est pas surprenant qu'ils m'aient repéré.
Non, je ne rêve pas, et je mérite de me retrouver dans cet hangar à la lumière blafarde qui me laisse à peine voir les corps de mes congénères. Je devine leurs silhouettes, certaines allongées comme moi au sol, d'autres en position verticale, les bras tendus attachés au dessus de leur tête, les jambes tantôt fléchies, tantôt pendantes au dessus du sol. Pour ceux-ci, en élévation forcée, l'attente doit être terrible, leur poids soutenu par leurs poignets seuls, ne pouvant soulager du bout des orteils l'étirement de leurs membres supérieurs. Un truc enfoncée dans leur bouche amortie leurs gémissements; une douce mélodie emplit le vaste volume de cet hangar aux parois métalliques ondulées, dont le sol est de la terre battue pleine de petits cailloux qui pénètrent dans mes fesses à travers mon pantalon. Il fait chaud et l'odeur est celle de plusieurs centaines d'aisselles, bourrée de phéromones. Une odeur poivrée étonnement agréable malgré sa force.
Tous ces pauvres gars ont dépassé le Quota. 100 kg, ce n'est pourtant pas si terrible. La propagande parle de disgrâce, de crime de laisser-aller, de manque d'auto-contrôle. Nous serions tous devenus de mauvais citoyens parce que nous sortirions des canons de beauté et par conséquent de la respectabilité. Je n'en crois rien. On ne nous collectionnerait pas avec autant de ferveur. Le public raffole de cet ostracisme, les émissions de la télévision portant sur les kidnappings en directe de mecs comme moi font un carton. Un tel voyeurisme correspond j'en suis convaincu à une fascination pour nos corps. Les gens nous trouvent beaux, et ils souhaitent posséder cette beauté jusqu'à plus faim.
Et je suis heureux de leur donner bientôt autant de plaisir.

Ils m'ont endormis une fois embarqué dans le camion. Une piqûre dans la cuisse, à côté de mes organes génitaux. Il paraît que parfois ils enfoncent l'aiguille en plein dans l'entre-jambe, lorsque le renflement les excitent particulièrement. Je me suis bien débattu, je sais bouger mes 110 kg avec beaucoup de facilité: mes jambes sont particulièrement musclées, mes fesses énormes et mes reins bourrés de vitalité. Ils ont tout de suite menottés les bras dans mon dos, échappant à mes uppercuts et autres frappes savantes de mes paluches de grizzli. Mes longues séances de boxe dans le secret des gymnases clandestins ne m'auront donc pas servi. Je me suis préparé en vain à cette instant majeur de ma courte vie d'homme de boucherie, je n'avais aucune chance d'en réchapper.
Ils étaient à 5 contre un, armés de gourdins en caoutchouc et de pistolets Taser, presque routiniers avec leur vingtaine d'enlèvements quotidiens. Des bâtards larges comme des montagnes qui finiront un jour comme nous, vu qu'ils dépassent largement le Quota, mais qui goûtent une sorte de sursis proche du nirvana, traités comme des dieux, adulés du public, vénérés comme des veaux d'or aux muscles hypertrophiée, scientifiquement entretenus. Les laboratoires médicaux les recrutent du reste si jeunes que l'on peut douter qu'ils fassent encore partie du genre humain.
Je ne sais pas combien de temps a duré le transport; le camion était presque plein lorsqu'ils m'ont hissé dedans. Une quinzaine d'hommes, alignés sur un des cotés du véhicules, plus ou moins superposés avec les membres qui s'entremêlent, allongés sur le plancher sur le dos ou sur le ventre. Ils ont dû rapidement fermer le haillon après ma piqûre et repartir chasser car il restait encore un peu de place. Je ne me souviens plus que de mon visage s'écrasant contre le sein d'un homme corpulent à la chair ferme, portant un parfum sucré et une chemise en coton épais.

La lumière dans le hangar vient de toutes petites fenêtres longeant le bord du toit. Il m'est impossible de me repérer dans le temps. Soit le temps est nuageux, soit le soleil est bas à l'horizon. Il fait chaud mais je devine un système de chauffage. Ils prennent soin de nous malgré tout. Nous devons terminer nos jours en bonne santé. Je m'attend à de nouvelles piqûres: les laboratoires sont très strictes sur la santé. Bien que nous soyons choisis pour notre excellente condition physique, ils ne feront pas l'économie d'une petite dose d'antibiotiques vitaminés. Cela frise l'obsession chez eux. Toute nourriture doit respecter un certain carnet des charges.
Quelle effet cela me fait-il de vivre mes derniers jours? J'ai un peu honte de l'avouer, mais je bande. Je vais être mangé, et donc apprécié par des dizaines de palais, de langues et d'estomacs. Des gens vont choisir ma viande, mes organes, les acheter et les cuisiner. Et je le sais depuis que j'ai 15 ans, date à laquelle j'ai commencé à prendre du poids. Quand je regardais mon corps dans la glace, ce corps étranger, inconnu, je le savais appartenir à la communauté, croissant pour le bien de l'humanité, pour sa sustentation. La télévision le répétait à l'envie dès ma plus tendre enfance: grossir était indigne des hommes, seuls les porcs engraissaient. Les premières émissions de télé-réalité avec les enlèvements en directe ont suivit peu après, j'avais 10 ans. Nous nous moquions alors dans la cours de récréation des garçons un peu enveloppés, et nos rires montaient en intensité à mesure que leur terreur grandissaient. Je les prie en pitié d'abord, et puis j'ai eu envie d'appartenir à leur clan, au début de ma puberté, non pour être la risée des autres, des dominants bien en règle, mais pour partager leur terreur de proie, qui semblait si forte qu'elle donnait tout d'un coup un véritable sens à l'existence. J'ai prie goût à ce danger, et à la pulsion de mort. A 15 ans, c'est avec délectation que j'observais le développement de mes pectoraux, de mon ventre, de mes muscles fessiers et mes cuisses, et de mes couilles. Mon visage conservait son côté poupon contrairement à mes camarade qui s'affinaient, mon cou forcissait, et ce fut avec un frisson de plaisir que j'entendis ma mère se plaindre à mon père que j'avais hérité du cou de taureau de mon arrière grand-père quand j'eus atteint ma majorité. Il avait sauté trois générations, mais le taureau était enfin de retour.

Un taureau qui fera bientôt partie de la ménagerie sur-médiatisée des jeux de l'arène.

Ce passage programmé sur le petit écran participe bien sûr à mon excitation. Je vais être pendant quelques instants un héros, une star diront certains, une victime très certainement, exhibée aux yeux de millions d'inconnus, qui saliveront et se masturberont sur ma forme extérieure mise à nu. De mon identité ils ne feront aucun cas, ils ne me considéreront même pas comme un être humain: je ne serai qu'un énorme morceau de viande. Et je leur ai préparé un plat de résistance avec tout mon amour.
Il y a 1 an environs, j'ai décidé de franchir la limite supérieure de ce que les autorités nomment le Quota, après une décennie d'efforts drastiques pour demeurer dans la communauté des consommateurs. Mais maintenant je suis à point: j'ai 31 ans, je suis au mieux de ma forme, et mes formes sont succulentes. Me voici, cher public, cher public dévoreur et insatiable, vous pouvez vous délecter de mon sang et de ma chair. J'ai consommé moi-même les meilleurs viandes et en quantités excessives. Vous ne pourrez jamais faire mieux que moi.

-Qu'y a-t-il de drôle? Franchement!

C'est un type sur la gauche qui me parle. Tous n'ont pas de truc dans la cavité buccale visiblement. En tout cas pas celui-là. Je sens qu'il va me faire chier cet abruti. Si j'ai envie de rire, je rirai.

-Cinglé! On va tous creuver! Et toi tu ris?!?

Je trouve son indignation risible, oui, et avec ce truc dans la bouche, une sorte de boule en caoutchouc entouré d'une feutrine comme une balle de tennis, je ne peux rien faire d'autre que lui signifier symboliquement mon hilarité.

-Connard!

Je lance un dernier rire étouffé, et je m'attarde sur sa silhouette. Taille moyenne, un ventre important, des jambes courtes et épaisses. J'arrive à distinguer un petit nez en trompette dans un visage qui s'enfonce dans des épaules larges. Ce type a dû rester longtemps caché pour avoir échappé au Service Alimentation. Il se tourne vers moi, je ne vois plus son petit nez en trompette.

-Ils ont oublié de me foutre un ball gag. Ils sont tellement débordés en ce moment...

Ce mec semble connaître les ficelles, à croire qu'il a travaillé dans le service. Un ancien bourreau devenu victime?

Il bouge sur le côté, me tournant légèrement le dos. Je peux voir la courbe de ses fesses bien rebondies, et ses mains immobilisées dans son dos avec une sorte de menottes métalliques reliées par une chaine à un anneau fixé au mur. Le même système d'attache que pour moi je suppose, et que tous les autres gars allongés à terre. Dans cette partie du bâtiment, nous sommes, je dirais, une cinquantaines de mecs allongés ou assis contre le mur qui forme comme une alcôve en U assez grande. Au centre de cet espace il y a un vide avec cependant une dizaine de mecs debout attachés à une poutre métallique. Sur ma droite l'alcôve s'ouvre sur un espace beaucoup plus grand, le hangar proprement dit où se trouve le plus gros des troupes, attachées à d'autres poutres métalliques dans cette position inconfortable. Le bruit de fond des gémissements vient essentiellement de cette foule compacte de prisonniers debout, ou suspendus pour les moins chanceux, sans qu'on sache exactement quels individus émettent les sons. Tant de corps accumulés viennent illustrer les derniers propos de mon voisin bavard. J'ai entendu parlé comme tout le monde de la croissance de la demande mondiale en chair humaine. L'offre semble suivre. Devant moi, je distingue environs 300 corps mais la salle se prolonge bien plus loin dans l'obscurité. J'ai un peu le vertige.

Je reporte mon attention sur mes voisins les plus proches. Malgré la faible lumière je distingue leurs vêtements , et leur variété confirme les menaces proférées chaque jour par le gouvernement: tout un chacun peut se transformer en gibier, quelque soit son origine sociale. Cependant, j'ai toujours soupçonné l'existence d'une protection de fait de certains individus appartenant à la classe dirigeante. Sur ma gauche, j'imagine que l'homme en costume trois pièces cravate, chemise blanche tendue sur son gros ventre, appartenait à la classe des cadres, mais il ne devait certainement pas paraître indispensable à la pérennité de son entreprise. Ou alors il s'agit d'un patron qui a déplu à un ponte de la Capitale lors d'un gueuleton dans un restaurant 5 étoiles. Nos dirigeants ont convaincu le peuple de la nécessité de cette chasse ignoble pour garantir la stagnation de la population mondiale, dans le respect cependant du droit à la reproduction. La surcharge pondérale est prohibée tout autant que l'avortement ou l'utilisation de la pilule contraceptive, grâce à l'influence conjuguée du Conseil Ecclésiastique, des médias au mains des laboratoires pharmaceutiques et des dirigeants politiques possédant les rênes du commerce alimentaire. Le peuple est autorisé à fabriquer des bébés à tout va, mais il faut s'attendre à perdre la vie dès lors que l'on abuse de la nourriture. J'ai très vite trouvé ce paradoxe autour du plaisir charnel comme une clef de la paix sociale, et ce point de vue est partagé apparemment par une grande majorité de mes concitoyens.

- Ils pensent être les plus forts du hauts de leur gratte-ciels, mais un jour, ils mordront la poussière, crois-moi.

Sa voix est calme, chaude, grave. Elle fait un contrepoint avec les cris étouffés en continu sur la droite. Une musique stéréophonique. Soudain un gémissement énervé jailli un peu plus loin, derrière l'homme sans ball gag. Une silhouette se trémousse, et lance un cris rageur. Nous sommes donc trois à être éveillés pour le moins. Mais notre impuissance à tous est humiliante, et le sommeil notre sort le plus enviable.

-Ne me dis pas que tu trouves ça NORMAL de te retrouver là, hein?

Je savais qu'il allait m'emmerder celui-là. Je me détourne ostensiblement de lui, tandis que le troisième larron grogne. Ces deux hommes ont le goût de la révolte en commun. C'est bien mes p'tits gars, vous serez pour vos bourreaux d'autant plus excitants.