Wednesday, April 8, 2009

Cannibals. Chapitre 3

Un sourire sur ses lèvres. Malgré la pénombre, son visage inversé est resplendissant, entouré d'une chevelure noire mi-longue et désordonnée qui évoque le panache enflammé d'une navette spatiale au décollage. Ses yeux ont repris vie, ils me happent, moqueurs. Mais cela ne dure qu'un instant, un très court instant de complicité amusée qui me marque au fer rouge. Je suis désespéré au moment même où son visage se durcit, de nouveau plein de rage, le regard tourné vers l'action à mener. Il soulève son buste pour attraper de ses doigts la barre qui le tient en captivité. Il échoue la première fois, son poids étant un handicap certain, et il se laisse balancer en retombant, laissant ses abdominaux récupérer de cet effort contre nature. Il a moins d'entrainement que moi. Moins musclé, sans doute. Pourtant, son ventre est beau, bien gonflé comme celui d'un buveur de bière. Il semble bien ferme, prêt à encaisser les coups et les sévices de nos sbires. Mais sa volonté semble plus dure encore, et il tente une deuxième fois de redresser son buste en s'accrochant aux bords de son jeans, puis en prenant à pleine main ses cuisses et ses mollets. Ses biceps sont gonflés à en faire craquer les manches de sa chemise, tandis qu'il souffle comme un buffle. Il fléchit les jambes et atteint la barre. Il reste suspendu ainsi pieds et mains réunis, et laisse tomber sa tête en arrière, découvrant sa pomme d'Adam et l'ovale de sa bouche happant avidement de larges goulées d'air. Sa peau suinte par tous ses pores, et j'aperçois par l'échancrure du col de sa chemise la naissance de sa pilosité. Je crois même que mes narines saisissent quelques effluves intimes nouvelles et étranges.

Je découvre alors qu'il tient dans une main un objet qui lui permet d'ouvrir le système d'attache de ses pieds. Il a dû procéder de la même façon avec les menottes. Comment a-t-il pu se procurer un passe? L'a-t-il subtilisé à un des geôlier dans la confusion du déplacement de quelques mètres de tout à l'heure, alors qu'il se débattait comme un jeune taureau? Le trouble s'installe dans l'opinion que j'ai de lui. Un pincement de jalousie fait naitre en moi une incompréhension hostile. Cet homme refuse un destin que j'ai secrètement désiré depuis des années. Brusquement ses jambes tombent et il lâche précipitamment le passe pour s'agripper à la barre de ses deux mains et éviter la chute. Il se balance, les bras et son dos en V, sa chemise sort de son jeans et me dissimule la cambrure de ses reins et de ses fesses.
Le passe a rebondi quelques mètres plus loin sur la gauche, et mon voisin de gauche qui s'était manifesté avant l'arrivée de nos tortionnaires se met à bouger en fixant l'objet avec avidité. Je regarde à mon tour le passe, incrédule. Une forme grise de la taille d'une poire aussi tentante que répulsive. J'en oublie quelques secondes la présence des centaines d'hommes autour de moi, mon regard passant de mon voisin à l'objet et de l'objet à mon voisin que je découvre avec curiosité tant son attitude soudaine me surprend. Une tension dans son cou et ses bras semblent pousser ses yeux hors de leur orbite, comme pour contrebalancer l'entrave d'un long râle étouffé par le ball gag. Son énergie comme un volcan éteint n'attend que le signal codé de l'objet pour exploser. Son désir de liberté m'interroge: que suis-je donc devenu, moi si volontaire pendant ma longue période de préparation dans les gymnases, moi qui est sculpté mon corps avec obstination, en quête d'optimisation, d'efficacité et de reconnaissance? Qui a tort, celui qui sublime l'ignominie de l'ordre social pour mieux le détourner ou celui qui prétend orgueilleusement l'ignorer en rêvant y échapper? De toute évidence, mon voisin ne se pose pas ce genre de question. Sa réaction n'est pas très éloignée en ce moment de celle d'un renard prêt à se ronger la patte tombée dans un piège à mâchoire.

Notre Harry Houdini lâche la barre fixe après avoir échauffé ses chevilles et atterrit lourdement en accompagnant sa chute d'une roulade. Il se remet aussitôt sur ses pieds et court récupérer le passe. Il regarde autour de lui comme pour se repérer. Il semble confus, peut-être surpris par le cours des évènements. Il commence à se diriger sur les pas des geôliers quand je lance à l'unisson avec mon voisin un cri de détresse. Il se tourne à moitié vers nous, hésite un peu puis repart vers ce qui semble être la sortie. Il disparaît bientôt dans le crépuscule, nous laissant dans la stupéfaction. Nous n'osons à peine nous regarder: un sentiment de honte nous étreint l'un et l'autre, pour autant que je puisse deviner les pensées de mon voisin. Personnellement, j'ai honte de moi, mais le regard venimeux de mon voisin laisse deviner une autre cible. Son regard reste fixé à l'endroit où nous avons vu Harry disparaître.

Le bel Harry n'a eu cure de ma vie. L'ange libérateur ne m'a pas jugé digne. Un sentiment de haine tente d'étouffer cette admiration déçue aussi irraisonnée qu'indigne. Je jette un regard de reproche à mon voisin, pour me libérer de cette culpabilité idiote. Il semble pendant quelques secondes ne pas comprendre mon froncement de sourcils, puis décide de détourner la tête, déboussolé dans sa détresse grandissante.
Quelques minutes d'une tristesse infinie, qui souffle comme une brise sur les évènements récents, s'allongent dans l'air poussiéreux du hangar. Seul le vide dans la rangée d'hommes attachés à la verticale en face de moi me rappelle la réalité de cet improbable coup de théâtre. Une farce à laquelle j'aurais préféré ne jamais participer.

Nous le voyons bien avant de l'entendre. Malgré sa corpulence et sa démarche oscillante d'un canard, son retour s'effectue dans un silence parfait. Il s'accroupit devant nous pour reprendre son souffle tout en nous considérant. Des mèches de cheveux collent un peu sur son front. Un bref regard alentour l'assure de la présence exclusive au sein de l'alcôve de mon voisin et de moi-même parmi la gente éveillée.

« Vous êtes encore capables de courir, non? Les autres sont fichus, dit-il en jetant un œil par dessus son épaule en direction de la grande salle, trop épuisés, ils seraient des boulets. »

Il fait une pose et nous regarde alternativement, sa pensée en ébullition.

« Il faut pouvoir courir vite, poursuit-il. Mais j'ai besoin que d'un seul d'entre vous, désolé. J'ai besoin du plus costaud. »

Sans attendre, il se met à me peloter les cuisses, sur l'extérieur d'abord et glisse sur mes mollets puis remonte lentement à l'intérieur, s'attardant à côté de mon entrejambe en me scrutant le regard avec insistance. Il palpe ensuite mes bras et caresse mes pectoraux et je me cambre malgré moi. Mon paquet se gonfle en même temps que le bout de mes seins sous ses mains. Il jette un regard discret sur ma braguette et se détourne de moi le visage impassible pour s'accroupir à côté de mon voisin. A la première caresse sur ses cuisses, l'homme réagit en poussant un bref son, sonnant comme une désapprobation. Il secoue la tête lorsque les mains s'approchent de son entrejambe. A ma stupéfaction, une des deux mains se met à lui masser ses organes génitaux. Le bâillonné se met à pousser plusieurs plaintes rageuses, ce qui fait sourire son tourmenteur. Puis ce dernier lui assène une grande claque au visage.

« Eliminé mon gars! Mauvaise réponse!»

Il se relève et revient s'agenouiller près de moi en disant:

« Toi, j'espère que la fermeté de tes muscles est à la hauteur de ta volonté de t'en sortir », et il m'enlève le ball gag. Le contact de sa main rugueuse et poilue me fait oublier l'ankylose de la mâchoire et la brûlure des lèvres. Je regarde pour la première fois son visage de près tandis qu'il applique le passe électronique sur mes menottes et je glisse avec ravissement sur la courbure de sa gorge et de ses joues rondes, piquées d'une barbe naissante. Son dos quand il se penche pour me libérer les pieds m'apparait plus large et solide que je ne l'ai cru jusque là. Sous une couche de gras se meut une musculature tout ce qu'il y a de plus efficiente.

Il s'éloigne déjà alors que j'essaye de me mettre sur pied. Le gars resté ligoté lance quelques injures inaudibles, et suivant l'exemple de mon sauveur je ne lui jette aucun regard, mais à la première tentative pour avancer une jambe, je suis pris d'un vertige qui me précipite sur mes genoux, provoquant son rire sardonique. Harry revient sur ses pas et me saisit par les dessous de bras. Un frisson me parcourt l'échine et je tente de retrouver la sensation du poids de mon corps sur le sol.

« Ne me fais pas regretter mon choix, mon gros », menace-t-il sèchement, mais lorsque je tourne mon visage vers le sien, son regard s'adoucit imperceptiblement et évite gêné le contact de mes yeux. Il regarde l'homme à terre qui continue à rire comme un possédé hystérique. Je l'écarte gentiment de moi, et fait mes premiers pas en direction de la grande salle la tête baissée, les sens en émois.
Je retrouve la maîtrise de mes muscles et de mes tendons progressivement, le squelette retrouve son assise et le sang irrigue de nouveau certaines parties ankylosées comme mon fessier et les jambes. Ma tête ne me tourne plus mais j'ai les oreilles comme bouchées après une plongée de plusieurs mètres sous l'eau.
Quand j'atteins les premiers rangs des hommes suspendus de la grande salle, Harry, celui dont je ne sais rien, me double et se glisse entre deux rangées de prisonniers. A peine remis de mon malaise, je dois supporter la vue de ces corps en souffrance écartelés sous leur propre poids. Des ventres proéminents sur ma gauche, des dos et des culs rebondis sur ma droite, se succèdent rangés comme des sardines avec une régularité infernale. Je n'ose pas regarder les visages bâillonnés de ces compagnons d'infortune que nous nous apprêtons à abandonner à leur funeste sort.

« Quel est ton nom? » arrivé-je à articuler. Ma langue semble avoir triplé de volume. J'ai soif.

Il s'arrête et se tourne vers moi, une certaine défiance sur ses traits.

« Paul, tu n'as qu'à m'appeler Paul » et repart aussitôt. Je le suis en m'interrogeant sur cette réponse un peu étrange.
Sans se retourner, il me demande au bout de 20 secondes, « et toi? ». J'esquisse un sourire, le premier depuis longtemps, et réponds humblement « moi, c'est... ce sera Harry. »
Il a beau être le plus fort question esprit révolutionnaire, il n'a pas le monopole de la discrétion.

Nous arrivons bientôt à l'autre bout du hangar. Je suis étonné que les mecs devant lesquels nous passons ne manifestent pas plus leur aspiration pour la liberté. Je me demande s'ils ne sont pas tous drogués pour les mettre dans un tel état de soumission. Je m'arrête devant l'un d'eux qui gémit doucement. C'est un mec un peu plus grand que moi, plutôt mignon de visage, et plus gras. Son ventre descend bas sur l'aine. Je laisse ma main glisser sur la courbe de son ventre en scrutant son visage. Ses yeux me regardent à travers la fente des paupières baissées. Il ne réagit pas plus que ça. Paul me rejoint. « Qu'est-ce que tu fous?

- Je vérifie un truc. »

Je regarde Paul. Puis je mets ma main dans l'entrejambe du type qui se met faiblement à bouger la tête. Je masse le paquet et évalue la grosseur de son sexe qui se met à gonfler, en regardant toujours Paul. Ce dernier me fixe de ses yeux durs, imperturbable.

« Il est vivant, et réagit aux stimuli sexuels.

- La grande découverte que voilà! » dit-il excédé. « On n'a pas que ça à foutre mon gars, des stimuli sexuels, nos geôliers sont prêts à nous en servir à la pelle. Si t'aimes ça, je t'attache dans un coin, ils viendront très vite te donner toutes sortes de sensations. Alors décide-toi. » Il s'éclipse.

Je range ma main dans la poche de mon jeans, et baisse la tête. Paul est sur le point de disparaître au bout de l'allée. Je regarde l'homme suspendu qui a maintenant une belle bosse sous sa braguette, et qui semble me supplier, m'implorer de ses yeux mouillés, de le finir.
Définitivement.

1 comment: